Intérieur de Thomas Clerc : une spatiographie des lieux de l’intime / Intérieur of Thomas Clerc : a spatiography of intimate places

Page_de_gardeIntérieur est une œuvre originale, qui n’est pas un roman mais peut-être un « essai romanesque ». C’est une tentative pour décrire de façon détaillée l’espace de vie quotidien de l’auteur que celui-ci fait visiter au lecteur, pour lui en faire découvrir son intimité, matérielle et peut-être aussi psychologique.

Interieur is an original work, which is not a novel, but maybe a « novel try ». It is an attempt to describe the space of daily life of the author, which he makes visit it to the reader, in order to discover his intimacy, material as well as psychological.

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Thomas Clerc est un romancier, essayiste et universitaire français né en 1965. Son œuvre se répartit entre la critique littéraire et des œuvres plus personnelles. Il a publié notamment en 2003 W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec (collection « Profil d’une œuvre » chez Hatier). Il a produit plusieurs œuvres relevant du genre de l' »écriture introspective », qui n’est pas le genre de l’autobiographie, ni celui de l’autosociobiographie, mais plutôt une spatiographie des lieux de l’intime. Dans Intérieur, chaque chapitre correspond à chacun des pièces de l’appartement de 50m² où réside l’auteur rue du Faubourg Saint-Martin dans le Xème arrondissement. On commence par l’entrée, puis la salle de bains, les toilettes, la cuisine, le salon, le bureau et enfin la chambre, lieu de l’intime par excellence.
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Au fur et à mesure de la lecture, on pénètre dans l’appartement. Chaque pièce, chaque meuble, chaque fenêtre, sont décrits de façon détaillée, fine, presque chirurgicale, à l’image des descriptions des sciences du vivant. L’auteur évoque l’idée d’une suite de « fragments » pour décrire son œuvre qu’il a mis trois ans à écrire. Ces lieux et ces objets, largement inondés par la couleur blanche des murs, se trouvent ainsi libérée de leur insignifiance et en même temps porteur d’une densité de signification à laquelle seul l’auteur peut nous permettre d’accéder.

Le principe d’une suite de chapitres correspondant chacun à une pièce, et commençant par un plan de la dite pièce s’agrégeant au fur et à mesure aux chapitres et pièces précédents, a déjà été utilisée dans La cache de Christophe Boltansky, publié en 2013 (voir ce billet sur (e)space&fiction). De chapitre en chapitre, on a l’impression de suivre l’auteur, de découvrir son lieu de vie, mais aussi une partie de son histoire personnelle, faite de quelques souvenirs liés aux objets qui occupent ces espaces. Certains objets semblent même dotés d’une vie propre. Par moments, on hésite à poursuivre la lecture et à suivre l’auteur dans son cheminement. Une certaine impression de malaise peut même se faire jour, tant on a le sentiment d’aller fouiller dans le plus intime de celui qui y habite, d’ouvrir des tiroirs, de soulever des draps, de regarder par l’une des fenêtres donnant sur la cour de l’immeuble. Et pourtant, quelque chose fascine et pousse à poursuivre la lecture jusqu’au bout. On ne sait pas si on a le « droit » de lire ainsi cette introspection spatiale et sensible mais le fait est que l’originalité de l’œuvre fait vouloir aller jusqu’aux confins de cette spatiographie.
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Thomas Clerc revendique lui-même l’héritage de Georges Perec, en particulier de La vie mode d’emploi. En fait La cache et Intérieur semblent entrer toutes les deux en résonance et s’inscrire dans les pas de la démarche de l’Oulipo. Rappelons que l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) est un groupe de littéraires et de mathématiciens qui, notamment en littérature, a proposé au récit de sortir de ses cadres traditionnels en prenant en compte des contraintes d’écriture. 
Dans La cache, présenté ici sur ce blog, l’auteur tente plutôt une archéologie mémorielle familiale, personnelle et collective, à travers la description minutieuse de son appartement. Dans Intérieur, l’histoire personnelle de l’auteur n’est pas un prétexte à faire résonner l’Histoire avec un grand H. Ici tout semble minuscules, les lieux bien sûr, mais aussi l’histoire de leur occupant qui par moments faits des allusions à des souvenirs personnels mais jamais à l’autre histoire qui est d’abord l’histoire des autres. Tout au plus, l’auteur tente des « théories » sur tel ou tel aménagement de l’espace ou objet présent chez lui, comme par exemple la cuisine américaine, un type de cuisine « géographisé ».

Cette spatiographie est surtout une œuvre autocentrée sur l’auteur et sur son lieu de vie, comme si l’un s’assimilait à l’autre, se fondait dans l’autre. L’auteur ne manque pas de citer Xavier de Maistre et son Voyage autour de ma chambre. Mais il a l’ambition de dépasser les limites de sa chambre pour étendre cette spatiographie de l’intime à tout son appartement.

L’Intérieur de Thomas Clerc renvoie à une autre de ses œuvres, Paris, musée du XXIe siècle, Le 10e arrondissement, publié en 2007 aux éditions L’arbalète chez Gallimard. Dans cette oeuvre, l’auteur s’est essayé à la description de son quartier, le Xème arrondissement de Paris, qui relève du même principe narratif qu’Intérieur mais qui a comme décor l’extérieur et non l’intérieur de la vie de l’auteur. Là aussi l’héritage de Georges Perec est évident et assumé par l’auteur. On se souvient ainsi du Tentative d’épuisement d’un lieu parisien où Georges Perec décrit dans le détail ce qu’il voit pendant trois jours assis dans un café (qui existe encore) place Saint-Sulpice dans le 6ème arrondissement de Paris (une adaptation de cette œuvre au cinéma a été réalisée en 2007 par Richard Coplans). Dans cette description minutieuse, quasi-scientifique, de l’espace de vie de l’auteur, Georges Perec navigue en permanence entre proximité et distance avec le lieu et ses individus, ceux qui l’habitent et le connaissent parfaitement et ceux qui ne font que le traverser et l’ignorent. Pour Perec, la topographie est avant tout une sociotopographie qui doit décrire les individus en train de construire l’espace.

Au détour d’un chapitre, consacré à la description de son bureau, Thomas Clerc fait une allusion à son plan de Paris. « Quant à mon plan de Paris, il écrase Google maps en présentant 1 vue non pas locale mais globale du territoire. Je n’ai jamais autant renseigné de quidams dans la rue que depuis l’abandon du bon vieux plan, qui leur fait préférer 1 photocopie de circonstance à 1 vue relationnelle. Au GPS, mort programmée de la mémoire des lieux, j’oppose la carte, amour du territoire. Livrant au lecteur 1 petit plan de ma maison, je signale que je fournis en annexe (payant) les photos« . Comme le prouve cet extrait, l’auteur utilise systématiquement le chiffre 1 pour remplacer l’article indéfini singulier. Mais l’auteur n’explique jamais ce choix. Tout au plus peut-on évoquer l’idée que le 1, premier des chiffres à signifier l’existence de quelque chose ou de quelqu’un, est aussi celui de l’unicité et de l’indivisibilité, à l’image de l’espace de vie de l’auteur que celui-ci nous présente en tous ses espaces qui n’en sont finalement qu’un seul.

On peut écouter ici l’interview de Thomas Clerc lors de la parution de son œuvre en 2015 sur France Culture. L’auteur y évoque son espace de vie, ses goûts, ses héritages littéraires. Il avoue notamment que Georges Perec est son maître, mais qu’il s’en distingue par « une sorte de violence au sens où [contrairement à Perec] l’appartement n’est pas vécu sur le mode de la tranquillité« . Comme le rappelle Thomas Clerc, son livre est dédié à son arrière-grand-père, assassiné par sa femme en 1912, à l’âge de 48 ans… l’âge de l’auteur quand il a commencé à écrire Intérieur. Peut-être est-ce pour cela que l’auteur glisse dans chacun des chapitres, des allusions explicites au jeu de plateau Le Cluedo et à un crime passé, comme par exemple « Le Professeur Violet, dans la bibliothèque, avec la matraque » ou encore « Mlle Rose dans la chambre avec la corde !« . Thomas Clerc aime à jouer avec son intérieur et sa mémoire personnelle, comme il aime à jouer avec le lecteur et son attirance, un peu malsaine, pour les petites histoires de la vie et de la mort dans une sociotopographie mi-imaginaire, mi-réelle.

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Reference/Référence

  • Work Title/Titre de l’œuvre : Intérieur
  • Author/Auteur : Thomas Clerc
  • Year/Année : 2015
  • Field/Domaine : Littérature
  • Type : Essai romanesque
  • Edition/Production : L’arbalète Gallimard
  • Language/Langue : fr
  • Geographical location/localisation géographique : #Reality
  • Remarks/Notes:
    • Machinery/Dispositif : Plans
    • Location in work/localisation dans l’oeuœvre : Before each chapter
    • Geographical location/localisation géographique :
    • Remarks/Notes :

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