Dans leur passionnante Géographies du western Mauduy et Henriet (1989 p. 162)¹ esquissent une typologie de la fonction des cartes dans les films de ce genre :

1. Authentifier une localisation (effet de réalisme)
2. Établir un état des lieux d’un territoire
3. Valider un personnage (le militaire)
4. Exprimer le pouvoir (du capital et de la technique).

Ces différent rôles, les cartes peuvent les jouer en même temps. Certaine cartes sont à première vue purement anodines et décoratives. On s’attend à trouver une carte de la ville dans un commissariat et une carte topographique dans les mains d’un randonneur. Même si elle apparaît furtivement à l’écran comme un accessoire du décor et sans nécessairement que les personnages interagissent avec elle, sa principale fonction est souvent de confirmer la véracité d’un lieu, s’il est identifiable sur la carte, ou d’un personnage comme attribut de sa fonction. La carte contribue aussi parfois à fixer visuellement l‘espace du film et à délimiter les limites du territoire qu’il parcourt. Enfin, comme l’a montré Tom Conley², elle peut jouer un rôle plus souterrain et ambivalent visant à dérouter le spectateur en l’amenant à s’interroger sur sa propre situation dans l’espace. Elle peut aussi se prêter à des analyses plus théoriques d’ordre narratif, symbolique, esthétique voire philosophique.

La carte qui apparaît dans un le western Pendez les haut et court (Hang’Em High) de Ted Post en 1968 mérite un petit décryptage.

L’intrigue de Pendez les haut et court

Le film est construit autour de la coopération conflictuelle entre un cow-boy nomade Jed Cooper joué par Clint Eastwood et le juge Fenton interprété par Pat Hingle, en charge de l’administration de la justice pour tout le territoire de l’Oklahoma et célèbre pour ses méthodes expéditives. Accusé à tort par des ranchers d’avoir tué un des leurs pour voler son bétail, Cooper est pendu et laissé pour mort avant d’être sauvé et conduit auprès du juge Fenton. Ayant reconnu l’innocence de Cooper, le juge lui propose un poste de shérif pour l’aider à maintenir l’ordre tout en pourchassant ses agresseurs pour les faire juger.

La carte de l’Oklahoma

La carte accrochée dans le bureau du Juge du film est la seule du film. Elle contribue évidemment au réalisme du décor mais elle joue aussi un rôle documentaire de référent historique, comme l’écrivent Mauduy et Henriet. Elle présente « un état des lieux à un moment de l’Histoire ». La carte enracine le film dans une réalité historique et résume tout ce qui est utile au spectateur pour comprendre le contexte du récit. Au moment où se passe le film en 1889, l’Oklahoma est un immense territoire qui vient d’être ouvert au peuplement et n’est pas encore un véritable État : la population n’est pas assez nombreuse, la loi n’est pas bien assurée, il n’y a pas d’élection normale … La carte apparaît une première fois au premier tiers du film, quand Cooper entre dans le bureau du Juge et une seconde fois quand Cooper, après avoir rempli sa mission, vient rendre son étoile au juge et lui reproche sa justice cruelle et inhumaine.

La première scène

La première scène est diurne. La carte fait le point sur le cheminement suivi jusque-là par le héros et donne à voir l’espace qu’il aura à parcourir et à maîtriser ensuite. Elle constitue donc un point de concentration du récit avant une dispersion géographique future. Le juge Fenton, après la démonstration d’une pendaison collective propose à Cooper un poste de shérif. La carte est suspendue derrière le bureau du juge, qui se lève pour la commenter en décrivant l’état sauvage et dangereux du territoire dont il a la charge et pour convaincre Cooper de venir l’aider à y rétablir l’ordre. La carte vient alors matérialiser en pleine lumière la manière dont le pouvoir fédéral entend se projeter sur cet espace « vierge » et hors-la-loi. Elle est une promesse fragile de contrôle, à laquelle Cooper accepte de contribuer.

La seconde scène

L’ultime scène du film convoque à nouveau la carte en inversant sa mise en scène. C’est la nuit. La pièce est à peine éclairée par la lampe de chevet du lit sur lequel le juge est allongé en robe de chambre. Nous assistons à un duel final comme dans les films de Sergio Leone, référence revendiquée du film, dans une version rhétorique qui oppose deux principes moraux, la clémence et la rigueur. Révulsé par la dureté et le manque d’humanité du Juge, Cooper vient lui rendre son étoile. Alors que dans la scène précédente, le juge dominait en contre-plongée un Cooper assis et affaibli, il est maintenant filmé en plongée, comme écrasé par une charge trop lourde. La carte s’est presque fondue dans l’obscurité ; elle est toujours à sa place mais on l’entrevoit à peine derrière le juge comme si le cadre légal tendait à se dissoudre. Au moment où il avoue sa solitude et ses doutes, la carte s’évanouit et Fenton ne peut plus compter sur elle ni sur l’État qu’elle représente aux deux sens du terme. C’est paradoxalement cette faiblesse mise en scène par le juge qui convainc Cooper de reprendre son étoile et de lui abandonner la victoire du duel.

Dans les deux scènes, le rôle de la carte dépasse sa fonction référentielle d’un territoire. Elle symbolise aussi l’enjeu relationnel et éthique qui à la fois unit et oppose les deux personnages. Mais elle endosse aussi un rôle, au sens dramatique du mot. On peut la considérer comme un troisième personnage de la scène, allégorique celui-là, qui bien que muet, par les effets de lumière et les mouvements de caméra, joue sa partition dans la confrontation.

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1. Mauduy, J., Henriet, G., 1989. Géographies du western. Une nation en marche. Nathan.
2. Conley, T., 2007. Cartographic Cinema. University of Minnesota Press, Minneapolis. London.