
Les globes terrestres jouent un rôle central dans le récit de L’assassinat du Père Noël de Christian-Jaque (1941). Ils semblent avoir contribué à la forte cohérence formelle du film, dont les plans s’organisent selon la figure maintes fois répétées du cercle.
Globes play a central role in the story of L’assassinat du Père Noël, the Christian-Jaque’s 1941 movie. They seem to have contributed to the formal structure of the film, whose plans are organized according to the ubiquitous figure of the circle.
FrançaisMêlant intrigue policière et conte de Noël, L’assassinat du Père Noël de Christian Jacques (1941) est un film inclassable, dont le réalisme poétique est baigné de fantaisie et de fantastique. Tourné en décors naturels dans les splendides paysages d’Argentière, le film est d’une étrange beauté. Les champs de neige étincellent au soleil sous l’anneau de cimes hiératiques surplombant le village blotti autour de son église. Des personnages habillés de noir, adultes inquiétants ou truculents et enfants turbulents, circulent dans les couloirs de neige plus haut que leur tête, complotent dans le château médiéval, se combattent dans l’église gothique et dansent une ronde endiablée à la lueur des bougies.
Les géodispositifs qui nous intéressent sont bien entendu les globes terrestres (nommés improprement mappemondes dans le film) que fabrique le Père Cornusse. Ils jouent un rôle central dans le récit et sont présents dans des scènes d’intérieur et d’extérieur. Nous découvrons le Père Cornusse dans son atelier à la suite des enfants de l’école. Il est en train d’ajouter la mince couche de plâtre qui donne sa forme finale à la sphère, selon la méthode de fabrication artisanale (voir ce documentaire : https://youtu.be/dZBrSzsotzg). Mais on trouve aussi des globes terrestres dans les intérieurs d’autres personnages. Celui du maître d’école rationaliste et libre penseur trône sur le bureau de sa classe, aux murs couverts de cartes et de maximes morales. Revenu blasé de ses lointains voyages autour du monde, le baron en expose un monumental dans la salle principale de son château. Avoir un globe est aussi le rêve secret de l’enfant cloué dans sa chambre par la maladie. Parmi les décors du film, seuls l’église, la mairie et l’auberge ne disposent pas de cet attribut.
L’institituteur La vitrine du Père Cornusse Le Père Cornusse Le Père Cornusse Le Baron La chambre de l’enfant
Pour chacun de ces personnages, le globe terrestre joue un rôle spécifique : objet de science et de connaissance pour l’instituteur, objet d’art support d’imaginaire pour le père Cornusse, appel au rêve et au merveilleux pour l’enfant, symbole d’aventure et d’exploration pour le baron, dont le désir de voyages lui vînt enfant des histoires extraordinaires que raconte le père Cornusse en fabriquant ses globes. Le globe terrestre relie donc de manière secrète les personnages. Il est aussi un objet frontière entre l’intérieur et l’extérieur du village. On en trouve un premier signe dans la scène de fabrication du globe, dont le plâtre déborde du chevalet pour couvrir les bras et les mains de l’artisan comme la neige a recouvert le village au dehors. Un globe est aussi suspendu comme enseigne au-dessus de la devanture à l’extérieur de l’échoppe. Cornusse est amené à en inspecter l’intérieur pour découvrir ce qui s’y trouve caché. Le globe s’échappe ensuite des bras des enfants qui l’emportent à travers le village pour rouler enfin dans les champs enneigés et conduire à la résolution de l’énigme.
Le globe est la figure centrale du film, qu’elle semble gouverner formellement. La sphère et le cercle y sont omniprésents tant dans les décors que dans les mouvements de caméra. Le film commence par un panoramique circulaire sur la chaîne de montagne qui surplombe le village. Un fondu enchaîné pointe ensuite sur le centre de ce cercle, le clocher de l’église, avant de zoomer sur l’école. Un travelling avant dans la classe cadre l’horloge, entourée de sa maxime, elle aussi circulaire, qui évoque le temps perdu. La bataille de boules de neige qui suit fait écho à ce massif de la sphère, comme le font ensuite les nombreux objets circulaires disposés dans le film, des portraits du château aux miroirs ronds de l’auberge, sans oublier et le précieux anneau de Saint-Nicolas, lui aussi sphérique.
De nombreux mouvements de caméra empruntent cette forme circulaire dans des plans très remarquables. Le bedeau poursuit le mystérieux agresseur dans un escalier en colimaçon. Les danseurs à l’Auberge tournent autour de la caméra dans une folle farandole. La caméra suit le maire qui tourne autour de la table ronde à laquelle sont assis les conseillers puis pivote sur elle même comme une toupie pour passer en revue chacun d’entre eux à l’arrivée de la mère Michel. On citera enfin, le très surprenant plan en contre-plongée qui montre les visages ébahis de conseillers disposés en cercle au-dessus de la table sur laquelle le commissaire a jeté le diamant.
Tous ces plans géométriques, qui font penser à Eisenstein ou Lang, relèvent d’une esthétique expressionniste qui contribue au caractère fantasmagorique du film. Mais, au-delà de la cohérence formelle qu’ils apportent, ils soulignent surtout sa thématique profonde. La sphère et le cercle viennent en effet signifier le confinement du village, isolé par la neige et les avalanches et qui n’est plus relié à l’extérieur que par le téléphone du maire et celui du baron. C’est par le truchement de ces derniers que nous suivons les tribulations des gendarmes de Chambéry qui semblent condamnés à tourner sans fin en rond autour du village sans parvenir à trouver une route praticable. La structure très sophistiquée et même virtuose des plans du film vient souligner l’isolement de la petite communauté montagnarde incapable de trouver une issue à son problème.
Le film nous aide finalement à comprendre l’ambivalence du globe terrestre. Sa forme et son volume évoquent la clôture, l’enfermement et le repli vers l’intérieur; sa surface cartographique invite au déplacement, au voyage et au dépaysement, réel ou imaginé. Comme le dit le Père Cornusse: « Ça me fait voyager, moi qui ne suis jamais sorti du département ». Le caractère décevant du voyage réel en comparaison du voyage imaginé est ce dont témoigne le Baron qui, après avoir visité tous les pays du monde, juge qu’il n’est nulle part mieux que chez lui. Il finit par trouver au village l’amour qu’il a cherché en vain au loin. En même temps qu’il donne à voir une surface à parcourir, le globe en dévoile la finitude. Il n’est finalement qu’un support pour les histoires que raconte le Père Cornusse, qui sont-elles porteuses du rêve. Le film développe sans appuyer une réflexion sur l’engagement ici et la recherche d’un ailleurs peut-être chimérique. Chaque personnage représente un choix: l’aventure déçue du baron, l’engagement dans la communauté un peu étriqué mais utile de l’instituteur ou du maire, les histoires chimériques du Père Cornusse. Le film semble ne pas pouvoir trancher entre tous ces choix, tous un peu négatifs, jusqu’à l’extrême fin où triomphe le Père Cornusse dans son rôle traditionnel de Père Noël qui met l’art et l’imaginaire au service de la communauté. On notera au passage que le film évacue la science du pharmacien et ne laisse aucune place à la croyance religieuse. Les références aux oppositions d’un village de l’époque sur la laïcité sont pourtant nombreuses : la confrontation de l’église et de l’école entre messe de minuit et fanfare républicaine. Le film laisse assez clairement voir sa préférence pour la modernité laïque quand il fait du curé un simple figurant et se focalise sur la tradition profane (et récente) du Père Noël. Au risque de surinterpréter, on citera en ce sens le sensationnel plan en fondu-enchaîné du téléphone venant se superposer au clocher de l’église, sa sonnerie effaçant le bruit des cloches.
Il existe une interprétation plus historique et politique de l’usage de cette figure géométrique. On peut voir dans le village du film une métaphore de la France coupée du monde et repliée sur elle-même à cause de l’occupation, la gendarmerie représentant les Alliés qui chercheraient à abattre le mur ennemi pour sauver le pays (voir ici:
https://quelfilmregarder.blogspot.com/2016/12/lassassinat-du-pere-noel-de-christian.html). Le fait que le réalisateur Christian-Jaque s’engagera plus tard dans les Forces Françaises de l’Intérieur – au contraire de l’acteur Le Vigan (l’instituteur), collaborateur notoire et compagnon de Céline à Sigmaringen – peut donner foi à cette interprétation. Mais la date de tournage début 1941, qui suppose une préparation du film encore antérieure, rend peu crédible la référence aux Alliés, presqu’un an avant l’engagement des Etats-Unis. Dans Télérama du 24/12/2011(cité par Wikipedia), Gérard Camy verse plus plausiblement à l’appui de cette interprétation patriotique l’histoire que Cornusse raconte au petit Christian à la fin du film, qui évoque « une princesse endormie mais bien vivante (la France) et un prince charmant qui un jour la réveillera (de Gaulle) ».
On peut avancer une hypothèse plus nuancée. L’assassinat du Père Noël mettrait en quelque sorte en abîme son statut ambigu. Il s’agit en effet du premier film réalisé sous l’Occupation par Continental-Film, la firme allemande créée par Goebbels. Christan-Jaque avait accepté de réaliser le film à condition qu’il ne soit pas un film de propagande. On peut se demander si le globe terrestre, à la fois monde clos et intérieur mis sous cloche et appel au rêve et au voyage, ne vient pas exprimer la contradiction entre la volonté de répondre à un public désireux de s’évader d’un quotidien désespérant tout en échappant aux plans de Goebbels qui entendait que la compagnie fournisse aux français des « films légers, vides et, si possible, stupides » (source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Continental-Films). Le programme est complexe : évoquer les réalités sociales d’un village français soumis à une menace, garder une place pour le rêve, la fantaisie et l’espoir, sans se réfugier dans des chimères. Le film est réussi par la transfiguration poétique qu’il accomplit dans ce contexte difficile, par sa surprenante hardiesse formelle et sa forte cohérence esthétique.
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Reference/Référence- Work Title/Titre de l’oeuvre : L’assassinat du Père Noël
- Author/Auteur : Christian-Jaque
- Year/Année : 1941
- Field/Domaine : Cinéma
- Type : Fantastique
- Edition/Production : Continental-Film
- Language/Langue : Fr
- Geographical location/localisation géographique : #Argentière
- Remarks/Notes:
- Machinery/Dispositif : globe terrestre, carte
- Location in work/localisation dans l’oeuvre : partout
- Geographical location/localisation géographique :
- Remarks/Notes :