Pour ses 30 ans, le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC+) nous offre, une exposition permettant de (re)découvrir la diversité et la richesse de sa collection au travers de l’accrochage « Considérer le monde ». En parcourant cette exposition, une œuvre nous a plus particulièrement parlé. Elle prend place dans un focus sur le Narrative art, conçu par Alexandre Quoi, Maître de Conférences au laboratoire TELEMMe (UMR 7303 CNRS), et accessible jusqu’au 8 avril 2018. Ce focus « entend mettre en lumière cette mouvance méconnue des années 1970 qui regroupe des pratiques conceptuelles combinant photographies et textes ». Ce courant artistique laisse toute sa place à la mémoire et à la fiction, tout en donnant au spectateur le loisir d’interpréter, réinterpréter, analyser, reconstituer le récit ainsi présenté.
For its 30rd brithday, the musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC+) presents an exhibition to (re) discover the diversity and richness of its collection through a hanging entitled « Consider the world ». While browsing this exhibition, a work particularly drew our attention. It takes place in a special focus on Narrative art, designed by Alexandre Quoi, Associate Professor at the TELEMMe laboratory (UMR 7303 CNRS), and opened until 8 April 2018. This focus « intends to highlight this unknown movement of the 1970s which brings together conceptual practices combining photographs and texts ». This artistic movement leaves room for memory and fiction, while giving the viewer the opportunity to interpret, reinterpret, analyze and reconstruct the story the work tells.
Cette œuvre est celle de Dennis Oppeheim (1938-2011), artiste contemporain américain. Entre 1967 et 1969, il a un temps orienté son travail sur le Land Art, tendance de l’art contemporain à utiliser la nature, les paysages comme matériaux et support. Il a notamment travaillé sur la glace et a produit en particulier l’œuvre qui nous a interpellé, et qui prend toute sa place dans la collection de (e)space & fiction: Annual Rings (1968).
Les œuvres de Land art, réalisées le plus souvent en extérieur, sont par nature plus ou moins éphémères, car exposées aux éléments, à l’érosion … Le recours au Narrative art, de ce point de vue, est une manière de figer l’œuvre dans le temps mais aussi de la documenter, de donner un certain nombre de clefs au spectateur ou au lecteur pour s’approprier le récit qui lui est présenté, et ainsi lui permettre de l’interpréter.
D’une certaine façon, Land art et Narrative art apparaissent ainsi l’outil, le support, l’extension l’un de l’autre : l’œuvre Land art était initiatrice de l’œuvre Narrative art, en même temps que l’œuvre Narrative art permet à l’œuvre Land art de survivre aux aléas du temps et d’être documentée.
Mais ne soyons pas trop présomptueux et, faute des compétences et connaissances nécessaires, gardons nous de pousser plus en avant ces conjectures. Contentons nous plutôt de décrire ici, les éléments géographiques intégrés à Annual rings.
Notons d’ores et déjà qu’il existe 4 versions différentes de cette œuvre : en plus de celle à Saint-Étienne, une se trouve au Centre Pompidou, une au MET et la dernière au MoMa ! Autant de musées prestigieux, démontrant, s’il le fallait, la richesse de la collection du MAMC+. Mais au delà, comme nous le verrons, ces autres versions semblent complémentaires de celle que nous avons pu détailler.
Cette dernière comprend 5 éléments :
- Une photographie de cercles concentriques dessinés, in situ, dans la neige et la glace de part et d’autre d’un cours d’eau partiellement gelé, présenté comme la frontière entre les USA et le Canada.
- Un texte explicatif portant :
- Titre et date : Annual rings 1968
- Taille de l’œuvre : 150′ x 200′ (soit environ 45m x 61m)
- Localisation : Frontière U.S.A. / Canada à Fort Ken (Maine) et Clair (Nouveau-Brunswick)
- Descriptif : schéma des cernes d’un arbre coupées par une frontière politique (schemata of annual tree rings severed by political boundary)
- Heures de part et d’autre de la frontière : U.S.A. 1:30 PM et Canada : 2:30 PM
On note ici, détail non anodin, que cette frontière entre deux états et deux fuseaux horaires sépare donc à la fois l’espace et le temps.
- Une photo de la plaque « United States / Canada International Boundary Line » telle que celle que l’on trouve sur le Rainbow Bridge des chutes du Niagara.
- Un assemblage de photographies aériennes recalées avec un cartouche, légèrement tronqué sur sa gauche ce qui ne facilite pas l’appréhension de tous les éléments, et renseignant quant à :
- La source : U. S. Departement of Agriculture, Agricultural Stabilization and Conservation Service
- Le numéro de campagne : ASCS-2-62-DC
- L’opérateur du vol : Pennsylvania aerial surveys inc., basée contre toute attente à Miami, Floride
- Ce qui semble être l’année du vol : 1962
- L’échelle de prise de vue : 1:20 000
- Un numéro de feuille (2/14) ce qui indique que nous avons affaire là à une feuille parmi 14 qui forment une couverture plus large.
- Une échelle graphique
- L’orientation
- Un titre donnant la localisation (Arrostook county, Maine)
- Un tableau d’assemblage qui permet de localiser la feuille dans les limites du comté
- … quelques indications de sens indéterminé (ITEM | A ; SYMBOL AHZ)
Le tableau d’assemblage permet de comprendre pourquoi le cartouche de la feuille n°2 est tronqué. Nous sommes en fait devant 2 feuilles. La feuille n°3, localisée à l’ouest, recouvre légèrement la n°2, et Oppenheim lui a enlevé son cartouche. Cela est confirmé par l’observation de la version de l’œuvre que possède le Centre Pompidou : cette dernière présente le cartouche de chacune des feuilles. Par contre, celles du MoMA et du MET présentent des photographies aériennes différentes.
- Une carte topographique de la zone portant un cercle associé à la mention « Location », au nord de Fort Kent, dans le comté d’Aroostook, Maine. Elle ne porte par ailleurs aucun titre, aucune légende, aucune échelle.
Sur cette carte, un détail frappe immédiatement : le cercle de localisation ne montre aucun cours d’eau, alors même que l’on s’attend à ce qu’elle indique la position de l’œuvre, qui rappelons-le, consiste en des cercles concentriques coupés par la frontière, qui en cette région, est un cours d’eau (gelé) : le fleuve Saint-Jean. Cependant, si l’on n’est pas familier de la géographie locale, il est difficile de se repérer entre les photographies aériennes et la carte topographique.
Nous avons donc pris le parti, comme l’œuvre nous y invite, de nous la réapproprier, de la réinterpréter en usant des outils qui sont les nôtres : les S.I.G. (système d’information géographique) !
Nous avons donc découpé, puis géoréférencé la carte topographique et les photographies aériennes, et les avons affichées sur Google satellites (carte 1). Cette représentation permet de mieux appréhender l’espace, et nous notons une parfaite cohérence entre les différentes données intégrées à la base de données. Mais cette carte ne résout pas le mystère de la localisation de l’œuvre.
C’est en observant les versions du MET et du MoMA qu’une localisation plus précise, ou plus plausible, est indiquée (carte 2). Dans les deux versions, celle-ci est indiquée à l’aplomb d’un pont localisé au sud-ouest de Fort Kent et qui enjambe le fleuve Saint-Jean (et peut-être est-ce sur ce pont que se situe la plaque ?).
Par ailleurs, cette nouvelle localisation semble plus cohérente avec l’angle de prise de vue des photographies de l’œuvre qui semblent avoir été effectuées depuis un point haut. Cependant, il faut noter que si les photographies du MoMA et du MET sont identiques et pourraient bien avoir été prises depuis le tablier du pont (de plus loin, de plus haut), elles sont différentes de celles du MAMC+ et du Centre Pompidou (qui semblent être la même à laquelle a été appliquée un effet « miroir » et qui a pu être prises de plus près, de plus bas, depuis l’autre côté du pont ou alors depuis la rive (surélevée par rapport au fleuve)). En effet, au vu de l’espacement et de la forme des cercles, toutes ces photographies n’ont, semble-t-il, pas été prises du même côté du cours d’eau. Cela n’est que conjecture, car la très probable utilisation de l’effet « miroir » induit beaucoup d’incertitude. L’artiste apporte là une nouvelle fois, une certaine confusion spatiale. Et il est intéressant également de noter que les cartes et/ou les photographies aériennes varient d’une version à l’autre.
La question reste en suspend : Pourquoi la localisation n’est pas la même sur toutes les versions ? Pourquoi n’est-elle pas « exacte » sur la version du MAMC+ (à supposer bien sûr qu’elle le soit sur celles du MoMA et du MET) ? Peut-être qu’au delà d’un simple glissement du temps (cf le billet de Muriel Berthou Crestey), symbolisé à la fois par les fuseaux et par les cernes dont le nombre augmente avec le temps qui passe, Oppenheim, dans cette œuvre très spatiale, souhaitait symboliser le glissement, la variabilité de l’espace ? Cela se ferait par le biais de 3 méthodes : les localisations affichées de l’œuvre, la diversité des prises de vue associée à la manipulation des photographies et, enfin, la diversité des supports cartographiques utilisés.
On peut aussi avancer que joue ici le caractère éphémère des œuvres qui était important pour Oppenheim. Le choix du support de création est de ce point de vue important : la neige et la glace sont destinées à fondre. Peut-être que bien que souhaitant documenter son œuvre, il cherchait parallèlement à brouiller les pistes, sans les fixer, et en empêchant quelle puisse être réalisée une seconde fois ?
Mais il est également possible de voir dans ces 4 versions, plus que les versions différentes d’une même œuvre, les pièces complémentaires d’une seule œuvre, les cartes et/ou des photographies aériennes différentes de l’une à l’autre, semblant se compléter. Il serait d’ailleurs intéressant de pouvoir disposer de copies de bonne qualité de l’ensemble des documents cartographiques de ces 4 versions de manière à les assembler, et à les étudier conjointement.

Comparaison des photographies en fonction de la version de l’œuvre (Annual rings, D. Oppenheim, 1968)
On se permettra ici d’avancer que les SIG auraient certainement plu à Dennis Oppenheim, lui qui a utilisé cartes et photographies aériennes dans d’autres œuvres (Time Line, Boundary Split et Time Pocket également en 1968) dans la même région, mais aussi à d’autres endroits (voir ci-dessous pour un exemple). Peut-être même aurait-il vu les SIG comme un support pour le Narrative art ? Il serait d’ailleurs intéressant de pousser plus en avant cette analyse et de comparer les cartes de ces différentes œuvres, dont certaines semblent les mêmes que celles d’Annual rings. Pourquoi en effet ne pas émettre l’hypothèse que la localisation « erronée » évoquée plus haut pourrait en fait être celle d’une autre de ces œuvres ?
Pour finir, notez qu’au MAMC+, aux côtés d’Annual rings, est exposé Accumulation cut, Frozen waterfall (du même artiste et datant de 1969) composé entre autre d’une photographie aérienne sur laquelle il a positionné la localisation d’une œuvre de Land art (cette fois à Ithica, état de New-York).
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- Work Title/Titre de l’oeuvre : Annual rings
- Author/Auteur : Dennis Oppenheim
- Year/Année : 1968
- Field/Domaine : Art
- Type : Narrative art, Land art
- Edition/Production :
- Language/Langue : En
- Geographical location/localisation géographique : #Saint-Étienne #Paris #New-York
- Remarks/Notes:
- Machinery/Dispositif : Cartes, Photographies aériennes
- Location in work/localisation dans l’œuvre :
- Geographical location/localisation géographique : #Fort Kent #Aroostook County #Maine #USA
- Remarks/Notes :