Patrick Modiano et la mémoire des panneaux indicateurs lumineux d’itinéraires de la RATP/ Patrick Modiano and the memory of RATP illuminated itineraries panels

Souvenirs dormants (copyright Editions Gallimard, 2017)

Les éditions Gallimard viennent de publier Souvenirs dormants, le dernier roman de Patrick Modiano, Prix Nobel de littérature en 2014, auquel (e)space&fiction a déjà consacré deux billets ici et ici. Dans Souvenirs dormants, l’auteur de Dora Bruder ou encore de Place de l’étoile, revisite ses souvenirs dans le Paris des années 50 et 60, avec un sens toujours aussi intime et sensible de la description d’une topographie mi-réelle, mi-rêvée. Il y évoque plusieurs objets qu’il considère comme des déclencheurs de la mémoire..

Gallimard editions have just published Souvenirs dormants, the latest novel by Patrick Modiano, Nobel Prize for Literature in 2014, to which (e)space&fiction has already dedicated two posts here and here. In Souvenirs dormants, the author of Dora Bruder or Place de l’étoile, revisits his memories in the Paris of the 50s and 60s, with a still intimate and sensitive sense of the description of a mid-real, mid-dream topography. He evokes several objects that he considers as triggers of memory.

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Dans l’émission « La Grande Libraiaire » animée par François Bunuel et diffusée sur France 5 le Jeudi 2 novembre 2017, Patrick Modiano était interrogé sur son dernier roman Souvenirs romans. Cette émission est visible ici.

Interview de Patrick Modiano à La Grande Librairie (Copyright France 5)

Dans cet entretien, l’auteur évoque entre autres des sortes de vestiges géomémoriels, que la mémoire fait ressortir à l’occasion de promenades dans un Paris toujours coincé entre mémoire, histoire et présent. Parmi ces souvenirs, Modiano parle (p.18) des anciens panneaux indicateurs lumineux d’itinéraires (dits PILI) de la RATP.

Les PILI se présentaient sous la forme de plans accrochés aux murs de certaines stations derrière des cadres de verre et en-dessous desquels se trouvaient des claviers avec les noms de toutes les stations. Les voyageurs cherchant leur itinéraire entre leurs stations d’origine et destination, devaient appuyer sur le bouton de la station de destination, la station d’origine étant par défaut celle où se trouvait le plan.

Panneau indicateur lumineux d’itinéraires de la RATP (Source : Wikipedia, CC-BY-SA)

Les stations de métro du parcours à suivre en métro s’allumaient grâce à de petites ampoules situées à l’emplacement des points des stations sur le plan. Ces panneaux sont apparus en 1937 et connurent un vif succès qui ne s’est jamais démenti. En 1981, la RATP comptait 184 plans de ce type. Ils ont disparu progressivement dans les années 90.

Pour le romancier, ces panneaux avaient une sorte de pouvoir magique, en mettant en relation les lignes les unes avec les autres par leurs stations de correspondance, sorte de métaphore des interconnexions dans sa propre mémoire. Il suffit de se souvenir d’un lieu, d’une personne, d’un événement pour qu’aussitôt d’autres réapparaissent en mémoire et ainsi de suite. Patrick Modiano évoque ces panneaux de la RATP à plusieurs reprises dans son roman.

(p.18) « Paris, pour moi, est semé de fantômes, aussi nombreux que les stations de métro et tous leurs points lumineux, quand il vous arrivait d’appuyer sur les boutons du tableau des correspondances »

(crédit photo : RATP)

(p.51) « J’ai pensé de nouveau à ces tableaux près des guichets du métro. A chaque station, correspondait un bouton sur le clavier et il vous fallait presser sur le bouton pour savoir où changer de ligne. Les trajets s’inscrivaient sur le plan en traits lumineux de couleurs différentes. J’étais sûr que, dans l’avenir, il suffirait d’inscrire sur un écran le nom d’une personne que vous aviez croisé autrefois, un point rouge indiquerait l’endroit à Paris où vous pourriez la retrouver ».

Dans l’interview à La Grande Librairie, Modiano indique « J’aurais voulu (…) que tous les livres que je pouvais écrire, des espèces de correspondances comme ça, comme ces tableaux lumineux du métro… Les couleurs changeaient d’après les correspondances… Oui, c’était un peu ce que je voulais faire en écrivant… Mais c’est assez compliqué. C’est pour ça que les choses reviennent, sans m’en rendre compte. Les choses reviennent d’un livre sur l’autre ».

(crédit photo : RATP)

(p.58) « J’essayais d’associer « Madame Hubersen » à d’autres noms qui figuraient sur ma liste. J’espérais qu’entre eux et « Madame Hubersen » apparaitrait une ligne lumineuse comme celle –verte, rouge ou bleue – qui indiquait les stations et les correspondances si on voulait aller de Corvisart à Michel-Ange-Auteuil ou de Jasmin à Filles-du-Calvaire ».

Modiano va jusqu’à évoquer l’idée que ces panneaux et leur fonctionnement quasiment magique, annonçait avant l’heure l’internet et son principe d’interconnexion par des liens hypertexte entre des mots, des images, etc. auxquels il est possible d’accéder en tapant sur les boutons d’un clavier.

Zenway (crédit photo : Denis Charrier, RATP)

Les PILI ont commencé à être remplacés en 2016 par un planificateur d’itinéraire modernisé et numérisé, Zenway, développé par une startup française User Studio. « Par le biais d’un écran tactile interactif et intuitif, ce nouveau dispositif permet non seulement une recherche d’itinéraire mais aussi un accès aux informations pratiques du quartier de la station. Ainsi, elle permet de visualiser les stations Vélib, les hôtels et commerces, et les lieux culturels et touristiques dans le quartier. Le voyageur peut ensuite télécharger son itinéraire à l’aide d’un code QR. ». D’ailleurs, Zenway fait explicitement référence sur son site Internet au PILI « Souhaité et suivi par la direction de la régie des transports parisiens, le projet se veut le prolongement ludique et informatif du fameux – mais malheureusement quelque peu obsolète – PILI que l’on ne croise désormais plus dans le métro de la capitale française. Le PILI ? Une carte du réseau qui retraçait interactivement pour son heureux(se) utilisateur(trice), à l’aide de petites ampoules à incandescence correspondant à chaque station, son itinéraire au départ de la station dans laquelle il (elle) l’actionnait via son tableau de boutons rangés par ordre alphabétique. Une expérience délicieuse et simple que nous avons pris plaisir à réinterpréter dans un grand écran tactile… ».

Peut-être que dans une cinquantaine d’années, un autre écrivain parlera de ce nouveau dispositif cartographique interactif dans ses romans…

Les éditions Gallimard ont publié une version audio de ce roman, lu par Christian Gonon. La couverture de ce CD reprend un extrait d’un PILI de la RATP.

Couverture du CD audio (copyright Editions Gallimard)

Reference/Référence

  • Work Title/Titre de l’œuvre : Souvenirs dormants
  • Author/Auteur : Patrick Modiano
  • Year/Année : 2017
  • Field/Domaine : Littérature
  • Type : Roman
  • Edition/Production : Editions Gallimard
  • Language/Langue : Français
  • Geographical location/localisation géographique : Paris
  • Remarks/Notes:
    • Machinery/Dispositif : Panneaux indicateurs lumineux d’itinéraires (PILI) de la RATP
    • Location in work/localisation dans l’œuvre : Divers
    • Geographical location/localisation géographique :
    • Remarks/Notes :

3 réflexions sur “Patrick Modiano et la mémoire des panneaux indicateurs lumineux d’itinéraires de la RATP/ Patrick Modiano and the memory of RATP illuminated itineraries panels

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