The Social Network (Fincher) – les espaces du réseau

« The Social Network » . Excerpt of the trailer – Extrait de la bande-annonce

How to visualize a virtual network in a movie? It is the question the director David Fincher had to answer with his new film The Social Network, that tells the story of the young and famous Facebook founder, Mark Zuckerberg. There is no maps at all in Fincher’s film. Anyway, Facebook had not until recently incorporated geolocation functions. But the way Fincher organizes the different places of his fiction deserves analysis.

Comment traduire visuellement dans un film l’histoire de la création d’un réseau virtuel ? C’est en fait à cette question que devait répondre le réalisateur David Fincher dans The Social Network, film qui raconte l’histoire du jeune et fameux Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook. Aucune carte dans le film de Fincher, d’ailleurs Facebook n’a intégré que très récemment une fonction de géolocalisation. Mais la manière dont il met en scène les différents espaces de sa fiction mérite bien une analyse.

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English

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Français

Le film commence dans un bar, où le plutôt odieux et suffisant nerd Mark Zuckerberg, étudiant à Harvard, se fait larguer par sa petite amie Erica, inscrite, elle, à la moins prestigieuse Boston University. Il se termine par un plan de Zuckerberg cliquant ad libitum sur le profil Facebook d’Erica. Dans l’intervalle, l’étudiant de première année, handicapé social et obsédé par les Final Clubs élitistes de la prestigieuse université, a contribué à changer les usages d’Internet de centaines de millions de personnes.

Au cours de sa narration, le film entrelace la description de trois espaces différents.

L’espace du campus

Une magistrale série de plans occupe tout le générique du film. Elle nous montre Zuckerberg à la sortie du bar et rentrant chez lui en trottinant. Même au premier visionnement et pour peu que l’on connaisse Boston simplement en touriste, on devine que le bar se trouvait sur l’autre rive de la Charles River, du côté de la Boston University, donc sur le territoire d’Erica. Le héros traverse en effet un pont (le John W. Weeks Bridge ?) qui mène de Boston à Cambridge où se trouve Harvard : Zuckenberg rentre chez lui après son échec sentimental, qui s’est produit hors de son territoire. Nous parcourons ensuite les rues de Cambridge puis arrivons finalement sur le campus que nous découvrons dans le détail, avec ses petites places et ses squares dont celui où se trouve l’emblématique statue aux trois mensonges de John Harvard, les bâtiments des salles de cours et les résidences des étudiants (en fait le film n’est pas tourné sur le campus de Harvard mais sur celui de la Johns Hopkins University à Baltimore (voir IMdb). Sur son chemin, Zuckerberg croise, sans y prêter attention, de nombreux étudiants qui marchent sur le campus, seuls, par couples ou par groupes. Ce plan d’exposition met donc en place la géographie précise des lieux, quasi topographique (1) mais aussi sociale et psychologique. Il isole le campus d’Harvard de son environnement immédiat et nous en donne une description détaillée. Il démarque aussi le personnage en lui conférant par le trottinement une double étrangeté : extérieure car il se distingue de tous les autres figurants qui marchent, et intérieure par le contraste de ce rythme de course tranquille avec le débit invraisemblable de sa parole dans son échange avec Erica dans la scène introductive.

Zuckerberg, une fois rentré chez lui se met devant son ordinateur. Pour se venger d’Erica, il crée Facemash un site où chacun pourra évaluer et noter la plastique des étudiantes du campus. Il commence à pirater les trombinoscopes des différentes résidences et l’on voit physiquement sur l’écran du futur fondateur de Facebook son site avaler de manière systématique, groupe après groupe, les personnalités des individus, ceux là-même peut-être qu’il vient de croiser sans les voir. Facemash qui donnera naissance à Facebook se diffuse ensuite à la vitesse de l’éclair sur les ordinateurs du campus et parcourt en sens inverse, de manière virtuelle et instantanée, le chemin suivi quelques heures plus tôt par Zuckerberg, tout comme Facebook s’étendra ensuite aux Etats-Unis puis au monde entier.

C’est à ce moment précis que le film donne à voir la le réseau social comme virtualisation, à travers l’opération de transformation d’individus en profils numériques.  Hors cette première séance de codage de Facemash, on ne trouve dans le film que peu de vues d’écrans et aucune manipulation de Facebook par un utilisateur. Le réseau social lui-même n’est pas visualisable. Mais son effet sur l’espace montré par le film est immédiat. Dès que les profils sont sur le serveur, la topographie du campus disparaît. L’étendue spatiale soigneusement explorée dans le premier plan se fragmente. Nous visitons différents lieux du campus grâce à de multiples personnages mais le film ne cherche jamais à organiser les liaisons entre ces lieux; nous n’avons plus accès qu’à des intérieurs ou des espaces clos, dans lesquels la caméra est systématiquement déjà installée avant que la scène ne commence. Harvard n’est plus un territoire que l’on arpente et parcourt mais un ensemble d’isolats sans solution de continuité, une sorte d’archipel dont la connexion d’ensemble ne se fait pas par la marche ou le regard mais à un autre niveau, celui du réseau justement, qu’on ne peut pas voir.

Nous comprenons aussi progressivement combien les lieux du campus peuvent être fortement hiérarchisés. Les frères Winklvoss invitent Zuckerberg dans « le local à vélos » de leur club qui est interdit aux non-membres. Pour y avoir accès, il faut être coopté et suivre des rites d’initiation et d’humiliation, ce que fait Eduardo Saverin, l’ami proche et l’associé de Zuckerberg. Une fois rompus les liens sociaux, très tôt avec les deux frères que Zuckerberg évite systématiquement sur le campus puisqu’il ne travaille pas réellement sur leur projet, ou un peu plus tard avec Eduardo, l’espace commun aux étudiants de Harvard se réduit à la pièce où se tiennent les procès qui les opposent.

L’espace du travail

Le lieu moteur de la fiction se trouve là où se conçoit et se développe l’application Facebook. Ce lieu se déplace au fur et à mesure que le film avance et que Facebook grandit. Il passe de la chambre d’étudiant de Zuckerberg à une villa de la banlieue de San Francisco puis à un siège social de la Silicon Valley. En changeant de localisation, l’espace s’étend, les ordinateurs et les employés sont de plus en plus nombreux. Mais il ne change ni de nature ni d’organisation. Le créateur de Facebook est toujours à la même place, derrière son ordinateur parmi les autres développeurs. Les employés remplacent les colocs, mais la disposition demeure. Les cellules se multiplient sans se hiérarchiser. Cette disposition caractéristique du hacker est aussi celle du réseau social : chacun derrière son ordinateur, connecté en permanence à sa tribu. Le modèle spatial que l’on retrouve ici est bien connu. C’est celui de l’horizontalité démocratique des réseaux, qui renvoie à la pensée alternative et libertaire qui a contribué à fonder Internet, à ce « peuple des connecteurs » dont parle  Thierry Crouzet.

L’espace du pouvoir

Pourtant le film nous invite à ne pas prendre complètement au sérieux cet espace idéal, démocratique et égalitaire. Le premier plan nous conduit en effet directement au cœur du dispositif, la chambre de Zuckerberg. Quand le réseau informatique de Harvard s’effondre, c’est l’ordinateur de Zuckerberg qui est repéré et c’est Zuckerberg qui est au centre du conseil de discipline de l’université, comme le montre la disposition de la salle à ce moment là. Dans les deux autres procès la disposition des protagonistes devient très différente. Il n’y a plus de centre. Tous les protagonistes sont disposés autour d’une table et Zuckerberg est toujours en périphérie des plans larges, comme en danger d’être jeté hors du cadre à chaque instant. C’est que l’enjeu pour lui est alors de conserver la direction des évènements, de ne pas être éjecté du processus qu’il a lancé et au contraire d’en écarter les autres prétendants.

Le film nous fait assister en direct au conflit sans merci pour l’appropriation de l’idée originelle et pour le contrôle de la société qui la met en œuvre. Facebook se construit par opposition au modèle élitiste et hiérarchique de la vieille société de la Nouvelle-Angleterre, que représentent les frères Winklvoss. Ceux-ci prétendent régenter grâce à leur argent ce monde nouveau d’Internet, dont ils ne font pas partie, contrairement aux hackeurs que sont Zuckerberg ou son aîné Sean Parker qui en sont partie intégrante. On assiste à l’affrontement de deux arrogances, celle du nerd et celle de l’héritier. Bien que le film ne nous dise rien du milieu social du personnage de Zuckerberg, son combat associe de manière assez fascinante quelque chose qui relève de la logique de classe et la certitude absolue de l’ingénieur et qui en fait une sorte de Capitaine Nemo cyberpunk. Le film enregistre la victoire de l’informaticien sur le possédant et une part de la sympathie que l’on éprouve pour le personnage Zuckerberg vient de son obstination forcenée à mener ce combat, même s’il ne s’embarrasse guère de principes moraux contrairement à l’un des frères Winklvoss.

La thèse du film

Apparemment, le sujet du film n’est pas Facebook, mais Zuckerberg. Il dépeint en effet « la revanche d’un solitaire », selon le titre français du livre qui est à l’origine du film. Mais ce n’est pas tout à fait innocemment que le titre du film se réfère à l’invention et non à l’inventeur. A travers son créateur, le film porte en fait un jugement psychologique et moral sur Facebook, le réseau social mondialisé, vu comme la dilatation hypertrophiée des idées sur la vie sociale d’un étudiant peu sociable de Harvard, qui aurait étendu aux humains de toutes cultures et de tous âges le modèle des relations interpersonnelles des post-adolescents d’un campus américain. L’entreprise apparait comme définitivement marquée par le péché originel du v(i)ol de l’intimité des individus. On retrouve là les principaux reproches faits à Facebook par ceux qui ne l’utilisent pas (2) : la puérilité et la superficialité de son principe relationnel et son ignorance primaire et fondamentale du respect à la vie privée.

Par le soin qu’il porte à la construction des espaces de son histoire, on peut se demander si le film ne parle pas aussi des enjeux spatiaux d’un système informatique de réseau social, de ce qu’il ouvre et ce qu’il ferme. Le film montre à l’œuvre une utopie qui voudrait que les territoires anciens qui servent de support à la vie sociale, ceux qu’on parcourt et qu’on pratique, qu’on s’approprie et se dispute, tous ces territoires hiérarchisés et hérissés de barrières déjà là et difficiles à franchir pourraient se voir dépassés par un réseau fluide, ouvert et horizontal, sans autre fermeture que celle que décident des individus libres de s’accorder mutuellement leur amitié. Ce réseau pourrait s’étendre à l’infini sans changer de nature, comme la chambre d’étudiant de Zuckerberg s’étend aux dimensions d’une société multinationale. Il trace à travers le projet de Facebook l’utopie d’un cyberespace qui prétendait déployer à la place ou par dessus l’espace ancien si couturé de nos relations sociales une surface neuve et parfaitement lisse où chacun pourrait évoluer à sa guise et selon ses désirs. Mais dans le même temps le film met en scène la tentative d’appropriation et de confiscation de cette surface, l’organisation du découpage en concessions bien cloisonnées et rentables de cet espace commun virtuel sans frontière, ce rêve vite pâli qu’on appelait Internet.

(1) Lire la critique de Joachim Lepastier dans Les Cahiers du Cinéma du mois d’octobre
(2) Comme nous le signale Philippe Azoury dans Libération ni le scénariste Aaron Sorin ni le réalisateur ni l’acteur principal n’ont de profil Facebook.

Reference/Référence

  • Work Title/Titre de l’œuvre : The Social Network
  • Author/Auteur : David Fincher
  • Year/Année : 2010
  • Field/Domaine : Cinema
  • Type : Biography, Drama
  • Edition : Sony Picture
  • Language/Langue: en
    • Machinery/Dispositif : Narrative,  scenography, direction
    • Location in work/localisation dans l’œuvre :
    • Geographical location/localisation géographique : #Cambridge, Massachusetts, US # San Francisco, Ca #Oxford, UK
    • Remarks/Notes :

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